Des moutons aux pattes sales glissaient dans le ciel. La terre boueuse les avait salis après la dernière pluie. Ils s’égayaient sur le versant de la colline et s’élevaient dans le ciel. En bas, la rivière avait à peine gonflée de la dernière averse pourtant drue. Un peu plus de feuilles et de branches gênaient l’écoulement de l’eau entre les rochers gris et couverts de mousse. Je les dégageais avec toute l’application sérieuse d’un enfant et les regardais courir vers l’aval.
Les sons de l’eau offraient une tessiture envoutante, lancinante. J’entendais des petits cliquetis qui débranchaient mon cerveau et en même temps ouvraient mes yeux à l’instant qui s’écoulait comme l’eau. Le chaos rocheux retenait l’eau en amont qui cascadait ensuite pour retrouver son cours paisible entre les fougères et les chênes.
Le soleil du soir faisait scintiller les gouttes de pluie en équilibre au bout des feuilles dans une lumière orangée un peu surnaturelle. Les moutons changeaient de couleur eux aussi. Ils grossissaient dans le ciel sans se montrer menaçant. Ce n’était pas la meute de loups gris de tantôt qui nous avait surpris et détrempés. Nos vêtements tentaient de sécher sur quelques buissons que nous avions secoués pour enlever la pluie capturée.
Je me retournai vers toi, ma besogne libératrice du cours de l’eau accomplie. Ta peau semblait encore luire de l’averse comme la terre juste lessivée. Tu ramassais des mures et tes mouvements me paraissaient d’une grâce divine. Le territoire de ta peau m’éblouissait sans fin. Toute une région, tout un pays, tout un continent, un univers ! étaient contenus dans ton corps fluide et je me rêvais explorateur, aventurier, cosmonaute.
L’angelus sonnait au loin, au clocher d’une église de village. Je tendis l’oreille. L’heure de la prière de l’ange. Un mot facile me fit reporter mon regard vers toi, Eve sur Terre. Pas de pommier en vue, nous étions saufs. La pluie nous avait lavés, purifiés, vidés d’une averse violente. Le soleil nous avait séchés de sa bienveillante chaleur de fin d’été. L’eau nous rassérénait de son chant, comme un bourdon sur lequel les oiseaux posaient leurs mélodies. Les rochers nous parlaient de calme et d’êtres surnaturels. Les mures allaient nous tacher la langue et nous procurer ce petit goût sucré d’un instant de bonheur. Cette Terre abondante nous faisait signe qu’elle nous accueillait et toi tu m’avais accueilli en ta Terre.
Entre Elle et Toi, pas de différence. La même force sacrée, la même douce puissance. La main offerte, le cœur tendu. Tous les deux ouverts pour m’accueillir. Je me sentais adepte d’un culte ancestral vénérant la sorcière sauvage que tu étais, déesse des mouvements, nymphe des rivières, fée des bois, réceptacle de féminins multiples. J’en venais presque à douter que du piédestal où je te posais, je puisse avoir ta préférence. Et pourtant, me revenaient les goûts découverts dans cette herbe folle que nous avions écrasée. Sans même m’en rendre compte, c’était toi qui, de ce piédestal, m’avais fait une offrande.
Et cette offrande avait le goût d’une mure déposée entre mes lèvres.
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Des grains de sable dans la voix
Face aux courbes des dunes,
Il froisse ses mains rugueuses
Dans la douceur de la nuit étoilée.
L’ancien au corps de sable et de roc
Main sur la poitrine et gratitude aux lèvres,
Conte la création du désert et du ciel
Dans le crépitement du feu rassembleur.
Le silence entre chaque mot s’emplit de sacré
Rythme l’histoire du monde et des Hommes
Pour le cœur et l’âme de chaque être réuni
Pour le lien immuable des uns en les autres.
Chacun voyage à travers les âges
Du souffle premier au vent du jour
Se nourrit des présences invisibles
Se ressource pour la route de demain.
Ils savent et connaissent chaque parcelle
De la route pourtant toujours nouvelle,
Ils tissent des liens entre les espaces
Depuis que le temps est temps.
Chaque pas est une célébration aux sillons
Tracés par les anciens au fil des saisons
Qui effacent les traces du passage
Mais préserve le passé.
Ainsi se forge l’âme nomade.
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En ce temps-là je franchissais les portails,
J’explorais les douze coins de l’univers,
Je rencontrais les dieux et les humbles,
Tous ceux-là qui ne font qu’un.
Avec les étoiles pour tapis volant,
Chaussé de bottes de 7 années-lumière
Je gravissais lentement le bord velouté d’une fleur odorante,
Je savourais la sensualité d’une galaxie enroulée.
Chacun de mes pas infimes et gigantesques,
Chacune de mes rencontres avec la Vie,
Nourrissait une joie toujours nouvelle,
Tissait la toile de mon âme.
Et mon âme déborde quand je me souviens.
Je n’ai rien pris et j’ai tout gardé,
Je n’ai rien donné et j’ai tout laissé,
Je n’ai rien touché et j’ai tout senti,
Je n’ai rien, et j’ai tout.
La musique céleste vibrait dans l’espace
D’un cœur de monde à l’autre,
Plus silencieuse que le silence,
Intime et universelle.
Et mon âme déborde quand elle se souvient.
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